Décentralisation en Bolivie :
10 ans de Participation Populaire dans les municipalités rurales: Conclusions
Il est difficile de faire le tour d'un sujet aussi vaste que l'analyse de la Loi de Participation Populaire en Bolivie, d'autant plus que celle-ci a été enrichie au fil des années par de nombreuses normes complémentaires, qui ont touché différents secteurs et différents aspects de la gestion de l'Etat et du développement. De plus, le transfert de compétences et de ressources financières aux municipalités, la reconnaissance légale des organisations paysannes et indigènes, et de leur rôle dans la planification participative et le contrôle social sont autant d'éléments qui ont eu des conséquences sur de nombreux aspects de la vie politique, économique et sociale du pays.
Je souhaite néanmoins, avant d'entrer dans des aspects plus spécifiques, détacher et garder à l'esprit deux éléments fondamentaux lorsque l'on parle de l'impact de la Loi de Participation Populaire. Il s'agit d'une part de la révolution qu'a représenté l'établissement d'une réelle présence de l'Etat dans les régions rurales, donnant à la population une référence sur laquelle construire sa citoyenneté, et d'autre part l'avancée du point de vue de l'équité que représente la distribution de 20% des revenus fiscaux en fonction de critères de population, alors qu'auparavant ces fonds n'arrivaient que dans les villes principales.
L'analyse du processus d'application de la loi durant ces dix dernières années m'a permis de mettre en évidence une série de difficultés, qui aujourd'hui encore font l'objet de préoccupation et limitent les possibilités de cette réforme d'agir comme facilitateur d'un développement rural équitable et participatif, nécessaire à la construction d'une réelle démocratie. Je citerai ici celles qui me paraissent les plus importantes et en lien direct avec la thématique du développement.
Un thème central est celui du processus de planification participative, en partant du principe qu'il ne peut y avoir de développement sans la participation des acteurs concernés. On constate que le modèle de planification proposé n'a pas réussi à articuler les trois niveaux de l'Etat - national, départemental et municipal - et il existe aujourd'hui de nombreuses incohérences entre les différents niveaux de planification. La question du niveau intermédiaire se pose aujourd'hui avec d'avantage d'acuité face aux exigences d'autonomie départementale, et il est regrettable que cette conjoncture ne soit pas l'occasion d'une réflexion plus profonde et sereine sur le rôle des préfectures et leur articulation avec les autres niveaux de pouvoir.
Au niveau municipal, la demande est souvent « atomisée », ne correspond généralement pas à une stratégie de développement définie en fonction des potentialités de la région et limite la possibilité de réaliser des projets stratégiques d'impact supra-communal. La planification n'est pas toujours réalisée de façon participative et les organisations productives n'y trouvent pas leur place en raison du caractère territorial et non sectoriel des OTBs. Au niveau du contrôle de l'exécution de la planification et de la lutte contre la corruption, la création d'une instance de contrôle social n'a pas produit les résultats escomptés. Les comités de vigilance souffrent d'un manque de légitimité, sont souvent manipulés par le maire ou les partis politiques, ne disposent pas des ressources matérielles et humaines suffisantes et font face à de grandes difficultés dans la viabilisation de leurs plaintes à l'encontre des gouvernements municipaux.
A la lumière des difficultés identifiées, il semble donc nécessaire de revoir le modèle de planification participative et de contrôle social, de manière à ce qu'il soit plus en accord avec les « us et coutumes » des différents groupes culturels qui composent la pays, et permette une plus grande appropriation et efficience.
Les capacités des acteurs de ce processus sont une autre limitation à l'application satisfaisante de la Loi de Participation Populaire, tant au niveau des gouvernements municipaux que de la société civile. Les personnes à la tête des gouvernements municipaux, en particulier dans les zones rurales, ne maîtrisent pas toujours les aspects techniques et légaux, d'autant plus que le cadre législatif lié à la gestion municipale est particulièrement complexe. Cet aspect est également renforcé par le fait de l'instabilité municipale - le changement d'autorité provoquant généralement le changement de toute l'équipe de gestion - ce qui empêche l'accumulation de capacités. Au niveau de la société civile, les capacités devraient également être renforcées, afin de former des dirigeants paysans et indigènes ayant une vision de développement de leur région et pouvant participer de manière constructive à la gestion du développement.
L'analyse des impacts de la loi montre que la Loi de Participation Populaire a marqué le début d'une nouvelle étape dans les relations entre la société civile et l'Etat, dont un des principaux résultats est l'augmentation de la participation politique et sociale des secteurs indigènes et paysans, auparavant totalement exclus des espaces de pouvoir et de participation. L'« empowerment » des secteurs marginalisés est un processus en construction et le chemin est encore long pour éliminer les discriminations ethniques et culturelles en Bolivie, mais on peut considérer que la participation populaire y contribue. L'espace local a permis l'émergence de nouveaux acteurs politiques qui peu à peu occupent également des espaces de pouvoir au niveau national, rendant la démocratie plus représentative de la diversité culturelle d'un pays qui compte plus de 60% de population indigène. Ce perfectionnement de la démocratie a été renforcé par l'introduction de formes de démocratie participative et les secteurs sociaux les plus défavorisés ont de plus en plus conscience de leurs droits en tant que citoyens. Néanmoins, on peut constater que cette amélioration de la démocratie n'a pas permis à l'Etat bolivien de sortir de sa crise de légitimité, ni de diminuer la conflictualité dans le pays, et on assiste aujourd'hui à la résurgence de mouvements contestataires qui menacent périodiquement la continuité du processus démocratique.
L'explication de cette contradiction se trouve peut-être dans les résultats obtenus par le deuxième objectif de la Loi de Participation Populaire : l'amélioration des conditions de vie. L'analyse des indicateurs montre une légère amélioration de l'accès de la population à certains services de base - santé, éducation, assainissement, eau - essentiellement résumée par la diminution du niveau de pauvreté calculé par la méthode des Nécessités de Base Insatisfaites. Lorsque l'on mesure la pauvreté par rapport au niveau de revenus de la population, par contre, les indicateurs montrent une nette augmentation de la pauvreté dans le pays, en particulier dans les zones rurales. On peut donc affirmer que la participation populaire n'a pas eu d'impact décisif sur les niveaux de pauvreté dans le pays, et ceci principalement parce que le thème du développement productif n'a pas été reçu l'attention nécessaire, ni de la part des gouvernements municipaux - la fameuse « municipalité productive » reste une chimère - ni de la part du gouvernement national, qui n'a pas réussi a élaborer une stratégie de développement rurale et de compétitivité convaincante.
On se heurte ici aux problèmes liés à la globalisation, aux conditionnements externes et aux conditions macroéconomiques, qui font que dans les circonstances actuelles il est très difficile que les petits producteurs puissent améliorer leur situation économique, et le niveau de dépendance d'un pays comme la Bolivie ne laisse pas une grande marge au gouvernement. Il serait néanmoins important que celui-ci modifie les conditions productives adverses et améliore l'accès au marché à travers des politiques sectorielles plus claires et mieux articulées à la dimension territoriale.
La coopération internationale, qui a suggéré et appuyé la participation populaire depuis le début, a ici un rôle important à jouer. Si elle ne promeut pas, à travers ses instances comme le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale et les relations bilatérales, l'adoption de politiques internationales qui permettent le développement économique du pays et en particulier de ses régions les plus déprimées, il est certain la participation populaire n'atteindra jamais ses objectifs de réduction de la pauvreté, et ce processus perdra toute légitimité ou risque d'être tronqué par une interruption de l'ordre démocratique. Les signes avant coureurs montrant que la population bolivienne perd confiance dans un système démocratique qui n'est pas capable de résoudre l'exclusion économique d'une majorité, sont déjà présents.
Au niveau des programmes de coopération proprement dits, ils devraient se centrer sur la génération de capacités productives municipales et de revenus pour les familles. Il est préoccupant dans ce contexte que de nombreux programmes de coopération fonctionnent encore sur base du principe de la donation d'aliments, en sachant à quel point ce type d'initiative handicape la production locale. D'autre part, la coopération devra continuer dans ses efforts de renforcement des gouvernements municipaux, des mancommunautés et des associations de municipalités, qui sont devenus des acteurs incontournables, afin de leur permettre de jouer leur rôle de facilitateurs des processus de développement économique local. Il est également fondamental de renforcer la société civile rurale de façon à améliorer la participation populaire, pour que les plans municipaux s'élaborent de façon plus participative, avec une vision productive.
L'expérience de la décentralisation municipale en Bolivie nous montre que le niveau local ne permet pas de changer les conditions macro-économiques qui sont celles qui déterminent principalement la situation de pauvreté. Les politiques économiques actuelles sont un frein important au développement productif local, et les conditions ne semblent pas réunies pour que la participation populaire puisse contribuer à réduire la pauvreté. Il est clair en tout cas que celle-ci ne peut pas se contenter de prolonger cette étape de construction de la citoyenneté et de démocratisation, et que des résultats au niveau des revenus familiaux sont nécessaires pour la viabilité du processus.
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