Loi de Participation Populaire: Perspectives d'Evolution
1. SCÉNARIOS POUR LE FUTUR
Comme nous l'avons vu, si la Loi de Participation Populaire a obtenu des résultats très positifs en ce qui concerne l'institutionnalisation du processus et l'approfondissement de la démocratie, en particulier par la représentation politique des secteurs indigènes et paysans, elle n'a pas obtenu de résultats probants en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. J'analyse ici brièvement quelques facteurs qui peuvent contribuer à expliquer ces résultats mitigés, qui constituent également des pistes pour assurer la viabilité du processus de participation populaire.
1.1. Planification participative et contrôle social
La planification participative, comme nous l'avons vu, a probablement été un des plus grands succès de la Loi de Participation Populaire, malgré les nombreuses lacunes dans l'application de la méthodologie. Il est important d'améliorer cette application, afin d'éviter l'essoufflement du processus et le découragement des acteurs. Un aspect important est la meilleure intégration des acteurs fonctionnels et des acteurs territoriaux, cherchant à générer des accords entre ces deux visions.
Une autre proposition pour améliorer le processus est l'instauration d'un budget pluriannuel participatif, au niveau municipal et départemental, qui permettrait d'intégrer réellement la planification participative au Système National de Planification et d'Investissement Public. Sans ce budget pluriannuel, l'élaboration de PDM est condamnée à rester un exercice sans lien direct avec la réalité. Le seul document municipal qui comporte un budget et qui définit l'investissement municipal à l'heure actuelle est le POA, qui n'est pas toujours élaboré en tenant compte du PDM, ni de façon participative. Il ne faut pas sous-estimer le risque d'essoufflement de la participation populaire : si celle-ci ne produit pas d'effet positif sur le développement, il sera à chaque fois plus difficile d'encourager cette participation.
De façon générale il semble important d'engager la population, non seulement dans l'identification de demandes, mais surtout dans le diagnostique et l'identification de problèmes et de solutions, c'est-à-dire la construction d'une stratégie de développement municipal, de façon à générer une plus grande « coresponsabilité » dans la gestion municipale. En quelques mots, il est important d'approfondir davantage la participation afin que la planification participative soit réellement le véhicule de la relation entre l'Etat et la société civile.
En ce qui concerne le contrôle social, une des demandes des comités de vigilance est que l'Etat ordonne les différentes normes liées au contrôle social en une Loi du Contrôle Social. Il faudrait en outre les réviser en profondeur afin de les ajuster en fonction d'un objectif clair, qui permette la participation directe et indirecte des organisations naturelles et légitimes, territoriales et fonctionnelles.
Raúl Maydana identifie les trois alternatives suivantes pour affronter les difficultés du contrôle social :
- Réaliser des ajustements dans le cadre du modèle existant, cherchant à renforcer le comité de vigilance. Dans ce cas, il est nécessaire de trouver des mécanismes permettant au comité de vigilance d'obtenir une plus grande légitimité face à ses mandants, par exemple en ajustant la législation afin qu'elle permette une plus grande flexibilité dans la composition des comités, selon les spécificités culturelles et sociales de chaque municipalité. Les sanctions au gouvernement municipal en cas de malversation ne devraient pas affecter l'investissement municipal et les procédures devraient être décentralisées et moins bureaucratiques.
- La deuxième option est la disparition pure et simple du comité de vigilance, idée proposée par le municipaliste Ruben Ardaya, membre de l'équipe qui fut à l'origine de la Loi de Participation Populaire, qui considère qu'avec « l'élection directe du maire, l'élection de conseillers municipaux par circonscriptions uninominales et la révocabilité de leur mandat, l'abolition du monopole des partis politiques et l'instauration de mécanismes permettant une démocratie plus directe » le comité de vigilance devient superflu, puisque les leaders sociaux pourraient choisir des conseillers municipaux qui les représentant socialement et territorialement.
- La troisième option, intermédiaire entre les deux premières, a pour but de récupérer un des objectifs initiaux de la participation populaire : obtenir une plus grande insertion sociale par la participation des citoyens. Cette option implique l'adoption des mesures de Ruben Ardaya dans le cadre d'une réforme constitutionnelle, mais l'institution du comité de vigilance se maintiendrait et on encouragerait une participation directe des organisations, fonctionnelles et territoriales.
1.2. Formulation et exécution des stratégies de développement
Le Dialogue National 2000 est le processus participatif par lequel la Bolivie a définie la Stratégie Bolivienne de Lutte contre la Pauvreté (EBRP) et l'assignation des fonds de l'initiative HIPC. Le dialogue a été mené à partir des « tables de discussion » municipales, et une des critiques qui a été apportées au processus est que la participation de la société civile et en particulier des groupes les plus marginaux a été insuffisante. D'après Julia Toranzo , les principaux participants ont été les représentants des gouvernements municipaux qui n'ont pas identifié les causes de la pauvreté et ont surtout cherché à obtenir des fonds supplémentaires pour les municipalités. Comme nous l'avons vu, celles-ci investissent principalement dans l'infrastructure sociale, sans attaquer le problème des revenus familiaux. Toranzo critique également que l'élaboration de la stratégie de réduction de la pauvreté a été encouragée par la coopération internationale sur base d'un modèle externe et est perçu par les acteurs locaux comme une conditionnalité pour obtenir des fonds, ce qui cause un manque d'appropriation du processus.
Cette faiblesse dans l'élaboration de stratégies participatives de développement, montre que la participation populaire en est encore à une étape initiale. Si la planification participative fonctionne relativement bien lorsqu'il s'agit de récupérer la demande de projets d'infrastructure des différentes communautés, il est beaucoup plus difficile d'obtenir la participation active de la population pour élaborer des stratégies de développement, d'autant plus que les autorités considèrent souvent qu'il s'agit là de leur travail et que les représentants des communautés n'ont pas leur place dans ce processus. Il semble nécessaire de capitaliser les apprentissages de la participation populaire afin de trouver les mécanismes adéquats pour élaborer des stratégies de développement réellement participatives.
En ce qui concerne l'exécution de ces stratégies, malgré la tentative d'articuler les investissements locaux, départementaux et nationaux par l'implémentation du Système National de Planification (SISPLAN), la désarticulation entre le niveau local et les politiques sectorielles reste un problème sérieux pour le développement des capacités locales. Une priorité serait donc de résoudre les problèmes de subsidiarité entre les différents niveaux de gouvernement.
Dans l'esprit d'un municipaliste comme Ivan Arias, le premier pas était la municipalisation, mais le suivant devait se situer au niveau départemental, dans le but de construire un Etat plus efficient et plus proche des gens. C'est en effet au niveau départemental que se situent les principales difficultés, les préfets contrôlant une proportion importante des dépenses publiques (45% du budget national) avec une efficience souvent remise en question. Il existe également une grande frustration par rapport à la bureaucratie et au manque d'efficience avec lesquels fonctionnent les fonds de développement nationaux. La déception quant au rôle des préfectures est tellement grande, que certain proposent de transformer la Bolivie en un Etat fédéré municipal, en faisant disparaître les départements.
La démocratisation du niveau départemental et une révision de l'actuelle division politico-administrative afin de permettre une décentralisation effective à ce niveau sont donc des tâches centrales et urgentes. Elles sont aujourd'hui particulièrement à l'ordre du jour en raison des exigences d'autonomie de certains départements de l'est du pays. Le risque est que ce processus nécessaire se réalise sous pression et débouche sur une réorganisation qui ne soit pas en bénéfice de l'ensemble de la population bolivienne.
1.3. Les « municipalités productives »
Au niveau des municipalités, la normative municipale actuelle ne stimule pas le secteur productif, d'autant moins que dans les mentalités, tout transfert vers le privé est perçu comme une malversation. De plus, l'investissement dans des services sociaux est plus visible et donc plus facilement capitalisable électoralement que l'investissement productif. Finalement, les projets productifs exigent une capacité technique dont les gouvernements municipaux ne disposent que rarement. Ces différents facteurs contribuent à expliquer que l'investissement municipal dans le secteur productif reste une grande faiblesse de la participation populaire.
Conscients du fait que l'augmentation des services sociaux n'a pas permis de limiter la pauvreté ni l'exode rural en raison du manque de génération de revenus, le gouvernement et la coopération internationale ont tenté de promouvoir le concept de « municipalité productive » ou de « développement économique local ». Dernièrement, la population donne elle aussi de plus en plus d'importance à l'investissement productif, ce qui se reflète dans les PDMs.
Les gouvernements municipaux, quant à eux, commencent seulement à prendre conscience de l'importance de leur rôle dans ce domaine et à se faire une idée sur ce que signifient ces concepts et sur leur rôle concret dans ce cadre. Il est nécessaire de formuler et de socialiser des politiques claires pour la promotion économique au niveau municipal, afin que le gouvernement municipal acquière les capacités de créer des conditions favorables pour les acteurs économiques locaux. Le développement productif des municipalités est également une priorité du point de vue des finances municipales, car, avec le déséquilibre actuel en faveur de l'investissement dans le secteur social, les municipalités font face à des coûts croissants d'entretien de l'infrastructure sociale, sans augmenter la génération de revenus fiscaux au niveau local, qui seul permettrait d'avoir des municipalités « soutenables ».
De nombreux auteurs se plaignant de l'absence au niveau national d'une politique de développement rural cohérente, le Dialogue National 2004 « Bolivie Productive » a été mis en place pour contribuer à remédier à ce problème, en proposant des stratégies productives. Le Ministère des Affaires Paysannes et Agropécuaires a récemment publié la Stratégie de Développement Agropécuaire et Rural (ENDAR), qui a été enrichie de manière participative avec les résultats du Dialogue National 2004.
L'ENDAR identifie les problèmes, potentialités et solutions pour le développement rural, définit « la participation et l'empowerment des acteurs productifs ruraux » comme une des ses prémisses philosophiques. Un de ses axes thématiques est également le « relancement productif de la participation populaire » dans le but de mettre en pratique le concept de « Développement Economique Local » à partir de la concertation des gouvernements municipaux et des acteurs économiques, de façon à ce que la Participation Populaire devienne « le levier de développement des municipalités et mancommunautés rurales ». Il sera intéressant de suivre dans le futur l'application de cette stratégie, afin de savoir si, comme elle en a l'objectif, elle arrivera vraiment à « relancer la participation populaire » d'un point de vue productif.
Quoi qu'il en soit, il est important de ne pas sous-estimer le rôle des politiques macroéconomiques et de leurs résultats en termes de croissance et de distribution des revenus, lorsque l'on s'intéresse à l'économie familiale et à la lutte contre la pauvreté. Les conditionnements externes et l'application des politiques du Consensus de Washington se sont traduits jusqu'à aujourd'hui dans des politiques macroéconomiques qui ont donné la priorité à l'équilibre sur la stimulation du développement productif et qui ont contribué à augmenter les inégalités dans le pays.
Selon le Rapport de Développement Humain en Bolivie 2002, la combinaison de niveaux élevés de pauvreté et d'inégalité est une des caractéristiques de l'économie bolivienne et une des causes qui limitent les taux de croissance économique. En Bolivie, le revenu moyen du décile de population présentant les revenus les plus élevés est quinze fois le revenu moyen du décile inférieur. « Quand le taux de croissance de l'économie est de 4%, les deux tiers les plus pauvres de la population ont un taux de croissance de moins de 2%, inférieur au taux de croissance de la population ». Cette structure d'inégalité dans les revenus cause donc l'augmentation de la pauvreté, même en cas de croissance économique, et place la Bolivie en deuxième position en ce qui concerne les niveaux d'inégalité du continent, juste après le Brésil. Le Rapport de Développement Humain des Municipalités identifie également l'inégalité comme un des principaux facteurs qui aggrave la pauvreté et signale que la mauvaise distribution des revenus se reproduit dans les municipalités.
Le « développement économique local » dans les zones rurales, les « municipalités productives » et la « réduction de la pauvreté », risquent donc de rester des espoirs lointains dans le cadre des politiques macroéconomiques appliquées actuellement.
2. SIGNIFICATIONS DES CRISES DES DERNIÈRES ANNÉES
Comme nous l'avons vu, la Bolivie n'a pas dépassé la crise de légitimité et de crédibilité de l'Etat, et a affronté ces dernières années différentes crises sociales qui menacent régulièrement la continuité démocratique dans le pays. Ces crises et mouvements de protestations expriment la déception de la société par rapport aux espoirs de résultat quant à l'amélioration des conditions de vie promises par les réformes d'état, les mécanismes d'insertion démocratique et la participation sociale. L'insatisfaction qu'on croyait canalisée réapparaît et comme le dit Ivan Arias, ancien Vice-Ministre de Participation Populaire : « Ce nous recherchions (avec la loi) était de construire un état de confiance, mais nous sommes retournés à l'état de la méfiance ».
Les perspectives pour le futur sont très incertaines, d'autant plus que la confiance dans l'administration publique, les partis politiques et entre les citoyens est au niveau le plus bas. Le pays a besoin de reconstruire un nouveau pacte national, et tous les espoirs se tournent dans la mise en place d'une « Assemblée Constituante » prévue pour l'année prochaine. Là encore les résultats sont incertains puisque, comme le dit Ivan Arias, « le pays vit un moment où la base pour arriver à un consensus et réduite ».
Doit-on en conclure que la décentralisation municipale et la participation populaire n'ont pas porté leurs fruits ? Il est clair en tout cas que si elles ont contribué à diminuer l'exclusion sociale, leur manque de résultats en ce qui concerne l'exclusion économique d'une grande majorité de la population constitue leur principale faiblesse. L'approfondissement de la crise économique, le manque d'opportunités dans les zones rurales, la migration rurale qui crée de poches de pauvreté autour des villes contribuent à alimenter le « raz le bol » généralisé des secteurs populaires. La tendance actuelle est un rejet de ceux-ci aux recettes néolibérales et aux entreprises transnationales, perçues comme les principales causes de l'intensification de la pauvreté que connaît la Bolivie.
On peut donc considérer que la viabilité du processus de démocratisation engagé avec la Loi de Participation Populaire est conditionnée par la possibilité de trouver des chemins permettant de réduire la fracture économique, conséquence de la crise du même nom.
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